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2ème Concours des 24h de la Nouvelle.

2ème Concours des 24h de la Nouvelle.
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22 mai 2010

Le sujet de cette deuxième session des 24 Heures

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Le sujet de cette deuxième session des 24 Heures de la nouvelle était divisé en deux contraintes. La première : le texte devait, en plus d'être écrite en 24h, être à caractère érotique. Elle devait aussi inclure un sujet au hasard, qui cette fois fût le mot : "Têtards" . Autant dire que le coktail s'est avéré plutôt explosif, quoique fort intéressant et non dénué de rapports. Seulement 3 personnes ont participé, dont une seule dans les règles. Meles remporte donc le magnifique trophée de ce concours mondialement reconnu dans tout les hémisphères de cette grande planète bleu. J'espère voir plus de participants la fois prochaine sur la ligne de départ. En attendant, bonne continuation! Et n'oubliez pas de picoler à grandes gorgées !

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22 mai 2010

The Grrrl Who Punk’d MeIl fait nuit, le ciel est

The Grrrl Who Punk’d Me



Il fait nuit, le ciel est dégagé et les étoiles resplendissent sur la voûte céleste telles des lucioles sur les eaux sombres d’une rivière. Un vent léger se lève et fait doucement bruisser les feuilles des arbres alentours. J’entends au loin les échos d’une fête, on est le 31 janvier, il est 23 heures, enfin je crois…

Putain…
Je la hais…

Soupir. Je tire sur les menottes attachées à mon poignet mais rien n’y fait, celle-ci reste solidement accroché au radiateur. Le bruit du métal contre le métal résonne dans toute la pièce, mais personne ne peut m’entendre. Ce bâtiment est désaffecté depuis des lustres et ceux qui sont à la fête écoutent bien trop fort la musique pour pouvoir m’entendre. Enfoirés de punks à la con, je savais bien que tout cela était une mauvaise idée.

Retour en arrière, flashback, analepse… Appelez cela comme vous voulez, tout ce qu’il faut savoir, c’est que j’ai bêtement été attiré par une fille (dans tous les sens du terme d’ailleurs) et que j’ai eu tort…
Comme on disait y a bien longtemps : « Tu t’es fait têtard ! ». Oui, je l’avoue, j’ai bien été roulé dans la farine.

Bon… Reprenons quand même du début.

Je ne me souviens plus trop où j’ai rencontré cette fille. Dans la rue ? Dans un bar ? Dans un musée ? Dans un… parc ?
Oui, ça devait être un parc, je me souviens maintenant, elle m’avait demandé du feu, je lui avait passé mon briquet. C’est à cet instant-là, cette seconde, ce « quantum » temporel que tout a basculé. J’aurais très bien pu ne rien dire, fermer ma gueule, reprendre mon briquet et repartir comme si de rien n’était… Mais non, y a fallu que je décide de faire la conversation.

Elle avait de grands yeux bleus.

Je ne me souviens plus ce que j’ai dit… Sûrement une remarque sur ses cheveux cuivrés coupés court si ce n’est deux longues mèches qui encadraient agréablement les lignes de son visage. Ou peut-être était-ce sur le piercing qu’elle avait au nez… Ou au coin de ses fines lèvres. Enfin, cela devait avoir à faire avec une partie de son visage, ça j’en suis sûr. Mais ça aurait très bien pu être sur ses vêtements : une chemise très masculine mais assez ouverte pour faire apparaître la naissance de ses seins (ou bien la chemise était-elle fermée en fait…), elle portait une jupe noire relativement courte, des collants noirs et de grosses DocMartens.
Quoi qu’il en soit, la discussion s’amorce et nous papotons de tout et de rien. De conneries, de politique (enfin, entre vous et moi, c’est un peu la même chose), de n’importe quoi. Elle sourit, elle rit, elle tire sur son clope roulé (son joint ?) et me souffle sa fumée au visage. L’après-midi passe vite. Elle doit partir voir des potes. Je la regarde partir, sa silhouette s’éloigner de plus en plus. C’était au début du mois de juillet.

Elle ne m’a pas rendu mon briquet.

Les semaines passent, la vie suit tranquillement son cours sans qu’aucun évènement important ne vienne troubler ma tranquillité.
Jusqu’à ce que je retombe sur elle bien entendu.
Cela devait être la dernière semaine du mois d’août. Sur la terrasse d’un bar. Envie de fumer. Pas de briquet dans la poche gauche. Rien dans la poche droite. Puis, tout à coup, une main tend un objet qui m’est familier.

« Je crois que c’est à toi, non ? »

Je dois bien avouer sur le coup, je ne l’ai pas reconnue. Ses cheveux avaient poussé et changé de couleur, ils étaient désormais noirs de jais et coiffés en pétard. En fait, je crois que ce sont surtout ses yeux qui m’ont permis de la reconnaître.

Ses yeux…

Retour au présent. Je soupire. Dehors, j’entends du punk, du rock, des cris de joie, des rires. Et moi, je suis là, comme un con, dans une pièce pratiquement vide, si ce n’est quelques meubles et ce foutu radiateur, et dont la seule source de lumière est la pleine lune qui luit à travers la fenêtre. Le vent souffle encore plus fort, j’ai froid (quelle idée en même temps de ne porter qu’un T-shirt par un temps pareil). Je me laisse tomber au sol, la main bêtement dans les airs, toujours attaché aux menottes.

Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ?

Des bruits de pas. J’entends des bruits de pas. J’ose à peine y croire. Quelqu’un va donc me trouver ? Je ne vais pas moisir toute la nuit dans cette foutue pièce ?
Les bruits de pas se rapprochent. D’un coup, je réalise que la personne qui vient pourrait tout autant se foutre de ma gueule et me laisser en plan, on sait jamais avec ces gens-là, j’y connais rien à ces gens-là moi. Pour moi, les Beatles, c’est déjà assez transgressif et subversif comme ça.
D’un seul coup, une ombre se détache dans l’encadrement de la porte. Enfin, c’est plus une métaphore qu’autre chose puisque la lumière de la pleine lune me permet de voir parfaitement qui se trouve devant moi.

« Alors, on a des remords ?
-    Pas tant que ça en fait. »

Elle est là, à me fixer avec un sourire triomphant, les mains sur les hanches. Deux mèches coule à nouveau délicatement de chaque côté de son visage et la lune semble se refléter sur ses yeux légèrement maquillés. Elle est en chemise et porte un jeans troué. On pourrait presque la prendre pour un jeune garçon mais la légère bosse que formaient ses seins et la façon dont elle se cambrait ne laissait aucun doute sur son sexe. Elle s’approche lentement de moi et tend sa main vers mon visage. Elle me caresse la joue et me fait un sourire mutin/sadique.

« Alors, on a eu le temps de méditer ?
-    Je t’ai déjà dit que j’étais désolé, tu veux quoi de plus ?
-    Je ne sais pas, que tu sois vraiment sincère ? »

J’y crois pas. Toujours à m’en demander plus. Elle me prend toujours tout sans jamais rien me donner. C’est ce qui s’est tout le temps passé depuis cette soirée au bar. Je me suis peu à peu attaché à elle. On s’est vu de plus en plus souvent, j’ai rencontré ses amis, elle a refusé de rencontrer les miens. Je me suis laissé peu à peu absorbé par son univers sans même m’en rendre compte, et au final, elle me laissait toujours à l’écart.
Et un jour, j’ai décidé que j’en avais marre, je suis allé voir ailleurs.
Et me voilà puni. Deux heures à poireauter tout seul pendant que les autres s’amusent, c’est pas suffisant ?

« Bon, j’ai compris la leçon, je crois. Tu peux me détacher maintenant.
-    Hmph, tu crois vraiment que je vais me laisser avoir par ton baratin ? Je veux des actes pas des mots. Et s’il faut que je t’oblige à m’aimer, je le ferai.
-    Quoi ? »

Mais à peine ai-je le temps de réagir que je sens l’une de ses mains commencer à caresser mon entrejambe. Tandis qu’elle m’embrasse dans le cou, je sens son autre main descendre le long de mon bras et…
CLIC !
Eh merde… Je tente de bouger mes deux bras, mais ils sont maintenant tous les deux fermement attachés au radiateur. Putain, je me suis fait avoir comme un bleu, je me suis encore fait têtard. Et elle, elle fait quelques pas en arrière et me regarde à nouveau, avec ce même foutu sourire.

Putain…
Je la hais…

« Bon… Et maintenant… Tu vas faire quoi encore pour me pour…
-    Chut… »

Elle s’est à nouveau rapproché et se colle désormais à moi, je sens ses petits seins se presser contre mon torse. C’est pas bon ça, c’est franchement pas bon, je sens encore la vacherie poindre le bout de son nez. Mais malheureusement, mon corps n’est pas de l’avis mon esprit et c’est bien malgré moi que je sens lentement une bosse se former au niveau d’une certaine partie de mon anatomie, et vu comme elle est collée à moi, il y a peu de chances que ce moment de faiblesse passe inaperçu.
Je la regarde, elle me fixe de ses grands yeux bleus tout en faisant un petit sourire en coin. Elle est si belle. Après avoir relâché un peu son étreinte, elle décide d’hasarder à nouveau l’une de ses mains vers mon entrejambe, lentement, inexorablement. Et moi, les deux mains attachées, je ne peux rien faire pour l’en empêcher (c’est pas avec mes pieds que j’irai loin…). Et, il faut bien l’avouer, au fond, j’en ai pas vraiment envie. Mais pour la forme, je détourne le regard, l’air exaspéré. Du coin de l’œil, je la vois faire une mine faussement peinée, mais sa main continue de se frotter à mon entrejambe et, peu à peu, elle desserre mon pantalon et le fait tomber à mes pieds.

« Être excité dans une situation pareille, je ne te savais pas aussi masochiste. Adepte du bondage ?
-    La ferme. »

Sur ces mots, elle m’embrasse et décide finalement de faire passer sa main dans mon boxer. Je suis à sa merci. Elle caresse doucement mon vît et chacune de ses caresses déploie en moi une intense vague de plaisir. J’ai définitivement des penchants masochistes…
Je me concentre de toutes mes forces pour ne pas exploser tout de suite, même si ce n’est pas l’envie qui manque… Mais elle semble ne pas être décidée à me laisser me reposer, ses caresses se font de plus en plus insistantes et elle glisse même son autre main sous mon T-shirt.
Puis, d’un seul coup, elle s’arrête, s’agenouille et retire mon sous-vêtement. Après quelques secondes (elle hésite ou c’est pour me faire poireauter ?), elle approche doucement sa tête de ma turgescence, commence lentement à en lécher les côtés et puis…
Rien ?
Je la regarde. Elle s’est arrêtée, elle a levé son visage vers moi, elle me fait un petit sourire mutin. Je me sens stupide, je rougis.

« Hm, oui, bon, qu’est-ce que t’attends ?
-    Je te rappelle que c’est toi qui es attaché. C’est donc moi qui décide de ce qu’on fait. »

Tout en disant cela, elle commence à retirer sa chemise, exhibant ainsi ses petits seins devant moi. Elle ne porte pas de soutien-gorge. Puis, très lentement, très très lentement, elle fait glisser son pantalon le long de ses jambes. J’ai l’impression que cela dure une éternité. Elle se retrouve ainsi devant moi, en petit culotte.

« Alors ? Tu me trouves comment ?
-    …
-    Hmm, je vais prendre ça pour un : Tu es sublime. »

Pour la troisième fois, elle se rapproche de moi mais cette fois-ci, elle se retourne avant d’arriver à moi, collant ainsi ses fesses contre mon vît. Elle passe une main derrière elle pour la mettre sur mon épaule et commence lentement à se frotter contre moi. A nouveau, je dois me concentrer au maximum pour ne pas faillir alors qu’elle se cambre de plus en plus, de façon à ce que je sente encore mieux mon vît passer dans le sillon de ses fesses. Cette douce torture me paraît durer une éternité. Je ne peux m’empêcher de lâcher quelques soupirs de plaisir, mais je l’entends elle aussi gémir, et je la vois effectivement une main dans sa culotte, en train de se masturber avec vigueur.
A nouveau encore, elle s’arrête. Je n’en peux plus, j’ai besoin de son corps, je le veux. Elle est là, à quelques centimètres de moi et je ne peux même pas l’atteindre. C’est elle qui mène la danse.

« Tu peux t’asseoir ?
-    Ben, j’imagine que je peux mais avec ses deux paires de menottes, ce n’est pas agréable.
-    Non, je ne veux rien entendre. Si tu peux t’asseoir, alors fais-le. »

Je m’exécute tant bien que mal. Les deux paires de menottes sont trop écartés, mes bras sont tiraillés des deux côtés. Ca ne fait pas franchement mal mais ce n’est vraiment pas très agréable, le sol est froid en plus.
Alors que j’en suis toujours à penser à mon confort, elle s’approche doucement de moi, elle est allée prendre un préservatif dans une poche de son pantalon. Elle ouvre l’emballage puis fait lentement glisser le préservatif susmentionné sur mon vît. Une fois l’opération effectuée, elle me lance un petit regard mutin tout en retirant sa culotte, et sans même me laisser le temps de dire quoi que ce soit, elle s’assit sur moi et fait entrer doucement mon vît en elle.

Long soupir d’extase, des deux côtés.

Je ne peux rien faire du tout. Je suis là, bêtement attaché tandis qu’elle commence à faire des va-et-vient.  Je sens mon vît entrer et sortir d’elle. A chaque fois, une nouvelle vague de plaisir me submerge. Elle gémit, elle pose ses mains sur mon torse, elle va de plus en plus vite. Je sens son souffle s’accélérer, et le mien aussi d’ailleurs. Je pense aux pires choses au monde pour ne pas me laisser aller tout de suite, maintenant.
Je regarde son visage : ses paupières sont closes, de la sueur commence à couler sur son visage, elle se mord la lèvre inférieure. Elle me semble si offerte à moi en cet instant. L’une de ses mains se détache de mon torse pour caresser sa poitrine. Elle se cambre un peu pour mieux me sentir en elle.

Je voudrais la prendre dans mes bras.

Mais je ne peux pas… Et c’est finalement elle qui m’enlace et m’embrasse. Je tente de la couvrir de baisers mais elle se dérobe à chaque fois et c’est elle qui m’embrasse partout où elle peut. Je suis au bord de l’explosion, elle aussi. Je la sens raffermir son étreinte tandis que ses gémissements se font plus forts, je sens ses tétons et sa poitrine s’appuyer de plus en plus fort sur mon torse. A l’instant même où je me vide, je la sens me serrer de toutes mes forces.

J’ai l’impression que cette étreinte dure une éternité. Nos deux corps en symbiose totale, hors de l’espace, hors du temps. Nous deux, seuls dans l’univers.

Après ces quelques secondes d’éternité, elle relâche son étreinte et se décolle de moi. Je voudrais la ramener à moi mais les menottes me ramènent à l’amère réalité. Elle me regarde, je regarde ses petits seins mutins que je voudrais tant caresser. Elle me sourit puis se lève pour aller rechercher ses vêtements.

« Bon… C’est bon là, je crois, tu peux me détacher, non ?
-    Et pourquoi je le ferai ? »

Elle est en train de se rhabiller, moi, je suis là, défroqué, avec un préservatif plein toujours sur le vît. Je ne me suis jamais senti aussi stupide.

« Nan, mais arrête, déconne pas. Tu peux me détacher maintenant.
-    Je n’ai jamais dit que je te détacherai. J’ai juste voulu prendre un peu de bon temps, et te plains pas, je pense que ça a été agréable pour toi aussi, mon petit adepte du bondage.
-    Oh, putain… »

J’ai envie de l’insulter de tous les noms d’oiseaux que je connaisse, mais tout mon fiel s’évapore sur le bord de mes lèvres. Je regarde ses grands yeux bleus me fixer, elle rajuste sa coiffure, elle repasse un peu sa chemise avec ses mains. Elle est si belle.

Elle s’en va.

Les bruits de pas s’évaporent peu à peu dans les airs. Je reviens d’un seul coup à mes sens. Etait-ce un rêve ? Non. Tout ça s’est vraiment passé.
Je tente de me relever et j’y parviens à force de persévérances mais mes bras sont complètement affaiblis d’avoir à subir un tel traitement. Par la fenêtre, je vois toujours le ciel étoilé, je sens toujours le vent souffler sur moi… et sur mes jambes nues. J’entends toujours la musique et les rires dehors.

J’entends d’un seul coup un compte à rebours. Il est 23h59, enfin je crois. J’y crois pas quand même, se faire têtard trois fois dans la même soirée. Je suis là, comme un con, à moitié défroqué, le préservatif rempli de semence commence à me démanger.

Putain…
Je suis accro à elle…

Meles

22 mai 2010

Le Têtard de bénitier Les jours allaient, de-ci

Le Têtard de bénitier

    Les jours allaient, de-ci de-là et l’espoir toujours incertain d’un temps meilleur gagnait chaque parole et chaque parole gagnait les cœurs. Le printemps, bientôt, serait là. La boue des chemins, sournoisement infiltrée jusqu’au profond de la petite ville, tordait le pavé de gelée en gelée et au plus fort du soleil, vers les deux ou trois heures des belles après-midi, les rues tortueuses devenaient dangereuses. Il s’agissait de ne pas glisser. Ce sont, en ces périodes de transition, ces délicates petites pousses d’un vert tendre qui assoient assurément le retour des beaux-jours, simples promesses primitives et fades d’un excès à venir. Alors la vie reprenait peu à peu ses droits et les bruits des chariots, des sabots sur la pierre, les cris des enfants laissés à eux-mêmes, et de leurs mères sur les étals de poisson…tout le concert raté d’une humanité sauvage dans des rues délabrées. Il ne fallait pour rien s’attarder à la raison et à l’impossible bon-sens, le mal et le bien côtoyaient les poussiéreux livres de messes et les tombes froides : la vie avait tout étouffé.
    Le soleil se leva plus haut ce jour là, détaillant les toits effilés, brûlant les mousses hivernales, assaillant les ruelles humides comme un chat curieux. Les souris sortirent jouer à la douceur de ce sourire, ces douces enfants blanches, et commença un bal dès le matin, les oiseaux, les bourgeons et les sources. Les rayons dessinaient les trachées des routes, coloraient les façades, accentuaient sûrement l’odeur nauséabonde des recoins insalubres. Mais rien n’était moins étonnant, variation infime d’une continuité, il neigeait hier et les bourgeons demain accompagnaient terriblement la monotonie des paroles des vieux. Les mouvements se perdaient dilués dans l’infinité des jours. Et le printemps arrive et l’habitude avec. Et à l’habitude, en ce jour unique, Yvette offrait le plus bel ouvrage de sa vie.
    D’une porte brune écaillée dont les deux vitres supérieures, composées de vitraux, coloraient de taches bleues, violettes, jaunes, rouges, ou vertes les grosses dalles de la cuisine, sortaient un a un, séparés précisément de trois pieds, et chacun revêtu d’ensembles gris identiques, sept enfants du plus jeune au plus âgé, quatre filles et trois garçons. Les cheveux tressés, les visages lavés, les mains collées contre leurs jeunes corps ; ils s’alignaient depuis cette porte jusqu’à la porte des voisins, le long d’une courte façade de maison, grise, tachée et fissurée, le pas marqué du bruit sourd de la louche sur la cuve en fer. La mère avait importé cette discipline étrange de son premier amant rencontré en ces époques floues où communiquer n’était plus utile et où la dureté des temps, le froid et le manque de tout n’était résolu qu’au contact de ces hommes identiques, beaux étrangers solides et ordonnés, porteurs de bruits. C’était en 1919 croyait-elle, quelque part entre les frontières de la Hongrie et de la Roumanie. N’ayant gardé foi, à force de vie,  qu’en cette excessive discipline, elle offrait à ses enfants de battre cette mesure pour leur offrir un père. C’était tous les matins, à ces âmes sans avenir, la fessée, la morale et le modèle d’une caisse bruyante. Dressés contre ce mur, le soleil atteignant enfin leurs fronts pâles, on voyait se décliner là le travail acharné de cette femme, de beaux corps, vides d’esprit et de passions, froids encore de cet hiver aride où, seuls à sortir si tôt le matin, ils devaient lever plus haut les pieds à cause d’importantes couches de neige. Les jeunes filles, ce matin là, goûtèrent la douce caresse du nouveau soleil et leur nature délicate mais audacieuse leur faisait tendre le nez au ciel, et fermer les yeux. La plus âgée des sept, Louise, atteignait, en ce nouveau printemps, une belle maturité et ses yeux bleus et ses joues roses et la finesse du châtain de ses cheveux en faisait une jeune fille comme les autres. Après quelques minutes d’immobilité, alors que la mère les comptait un à un, dépliant chacun de ses doigts gonflés, ils purent recouvrer une liberté totale et abandonnés à leur nature, il injurièrent sans conscience le beau rituel qui ne comptait déjà plus pour rien, jusqu’au prochain matin, l’éternité. Alors ils partirent par les rues profiter du nouveau soleil, les plus jeunes occupés à la balle ou au cerceau, les petites avec leurs poupées, les polissons déjà à guetter les étals nouveaux du petit marché de la ville tout juste réouvert. La mère les aurait pour elle au soir, elle les saura de retour pour se remplir le ventre.
    Louise, de nature plus douce pris le chemin de la Place du village d’un pas tranquille, la tête vide. Les petits sabots sur les pavés glissants de la rosée matinale, elle ne voulait en aucun cas salir sa robe par une chute importune, laisser ses doux espoirs de jeunesse s’envoler dans une flaque de boue. Aujourd’hui, premier jour d’un soleil éclatant, elle avait rendez-vous avec la vie.
Il l’attendait comme prévu. Il était brun, osseux de ses quelques hivers, le vent léchait sa large chemise, découvrant par à-coup son épaule gauche. Il lui avait fait promettre, un peu malgré elle, cette rencontre, une foi l’hiver passé, il lui avait parlé des lois de la nature, de ce qu’il devait se passer aux nouveaux printemps, il racontait longuement les histoires immuables, le déterminisme humain et la lourdeur des corps. Souvent de la fragilité des roses, de leurs couleurs et du temps qui passe. Elle aimait l’entendre parler de ces coins de nature si beaux, de la lune et des tapis d’herbe, sans en connaître la raison. Elle avait promis et elle était là. Dans sa tête la régularité, la temporalité de ce tambour incessant de sa vie l’appelait à un ailleurs, elle rêvait d’entendre chanter la douceur, elle le croyait joueur de flûte. Elle le suivit sans discussion, à travers la campagne à peine réveillée, elle écoutait sans entendre ses nombreux poèmes. Il fut alors plus engageant, pris sa main, ou caressa ses cheveux, la laissant le rire aux lèvres et la peur au ventre. Elle se mit à courir sans réfléchir poussé par un instinct étrange, le corps ébranlé ; il essaya de la suivre.

Elle se mit à genou, les dalles froides et humides comme un contact fortifiant, elle éleva ses yeux dans la lumière éclatante des vitraux transpercés de soleil, les couleurs baignaient son visage et étouffait ses yeux. La pupille comme une danse jouait avec l’intensité des tons, le flou gagnait parfois, offrant des images inconnues, des couleurs se mélangeaient au gré des mouvements de ses petits yeux. Elle regardait et ne cessait de voir, elle était perdue et gagnée d’un étrange sentiment. Le soleil de l’autre coté subissait quelques opportunes visites de nuages insistants et l’obscurité la plongeait dans une cécité d’un instant, oubliée. Puis la lumière la reprenait sans répit, saturait tous ses sens. Et se fut la musique, d’un lieu incongru qui s’élevait, s’immisçant dans cette danse calme comme un nouveau partenaire. Les oreilles bourdonnantes, elle cherchait sans répit les sons sur les couleurs, les tons de chaque étrange mélodie, pleine et précise, délassante. Et son corps, étonné, lâchait peu à peu sa tension, et se laissait aller à ces inconnues et incessantes caresses, réchauffant au contact de cette jeune peau bouillonnante la pierre dure et réelle. Elle fondait. Alors tout son corps peu à peu fut gagné de cette vibration, de cette musique silencieuse, ses muscles se tendaient, se délassaient par endroit, alternativement ; sa respiration s’accélérait, se saccadait, charriait un sang bouillonnant dans tout son corps. Elle se sentait habitée, elle se sentait pénétrée, et son corps, abandonné à cet excès des sens, jouissait d’une étrange plénitude. Elle sentait qu’elle avait eu raison de venir dans ce lieu effrayant, elle comprenait qu’il fit tant peur à sa mère ; elle accédait à son essence.

Alors le silence fut dans son esprit, et restait seule une lumière blanche et pleine. Son poids, la force de la terre, la douleur de son corps fragile, tout disparu laissant place à une implacable vérité : telle fut sa première rencontre avec Dieu.

Le soleil finit par se coucher, plongeant les vielles ruines de l’Eglise dans une obscurité terrestre, entre chien et loup. Se réveillant, homme parmi les hommes, elle remit ses sabots, rattacha son fichu et repris le même bois encombré qu’au matin, regagnant à petits pas assurés la maison de sa mère. Sur la place du village, elle croisa un jeune homme harassé de fatigue, dormant sur la pierre d’un muret, les chevilles boueuses, le pantalon troué. Il avait dû passer tout le jour à parcourir les bois. Elle le laissa à son sommeil de mort. Arrivée à la porte, elle annonça son départ. Elle irait loin et ailleurs. Elle prendrait au petit jour le pas tranquille d’un nouveau père, d’un nouvel amant, spirituel inceste, conciliation monstrueuse d’un autre ciel.      

Elle laissa cicatriser douloureusement dans ce petit village sans âme et sans passion, le souvenir d’un monstre dans les ruines du fond du bois, et le refrain terrible qu’encore aujourd’hui les enfants sales et braillards hurlent au début du printemps sans n’y rien comprendre : « Ne reviendra-t-il donc jamais le vilain têtard de bénitier ? »         

Geneviève.

22 mai 2010

FELDSPATH. Quand je m'ennuyais le soir, devant

FELDSPATH.






Quand je m'ennuyais le soir, devant mon écran d'ordinateur, le visage amorphe et la main sous le menton, il m'arrivait souvent de descendre dans les égouts d'Internet.

Vous les connaissez peut-être ces endroits, ou peut-être pas, me direz-vous, et c'est tout à votre avantage. Parce que je ne vous y invite pas. Cela serait plus le genre de truc que je conseillerais aux anorexiques pour les aider à vomir, si vous voyez l'ambiance.
   
J'ai l'impression que ces endroits ne connaisse aucune limites. C'est simple, plus rien est impossible entre ces murs. Cela devient si détaché du monde réel que vous en perdez votre regard critique et votre morale, ce truc là, qui d'habitude vous sert de barrière. Il y a des couloirs glauques où les murs suent par tout les pores, des chiottes dégoulinant où des flots d'images sortent de la cuvette et jaillissent à votre gueule, et puis il y a ces ombres sales qui se détachent au bords d'étranges maisons closes où des lumières difformes s'entremêlent avec violence.

Il m'arrivait de croiser des images que même mon esprit pervers n'aurait jamais pût imaginer. Un vagin visqueux qui dégueulait des câbles électriques rouillé, une vidéo de surveillance dans un métro japonais, qui filmait un homme se couchant sur les rails, quelques secondes avant l'entrée en gare des wagons, et puis des images cradingues de nanas qui se laissaient enfoncer des godes huilés et grisâtres par des robots anonymes, entièrement mécanisé et in-humanisé. Et je pouvais toujours trouver pire. Toujours. C'était une des lois d'internet. Il existait  toujours une image ou une vidéo plus vomitive que toutes celles que vous aviez pu voir. Mes yeux avaient assez morflé. Je pouvais dire que cette règle fonctionnait.
   
Et dans tout ce merdier, il arrivait aussi que je croise des portraits de filles, dont je tombais aussitôt amoureux. Sans m'en rendre compte, bien évidement. C'était de simples filles, sans tâches ni spermes sur le visage. Elles me regardaient de l'autre côté du monde et elles me souriaient. Des filles sans identités, des filles sans pudeurs, des filles qui me hantaient l'esprit longtemps après, comme des visages croisées en flash dans la rue.
   
Vous me demanderez: Pourquoi j'allais alors me plonger dans ces sites vaseux, si je savais que c'était horrible? Pour ma première fois, j'ai une excuse: Je ne savais pas où je mettais les pieds. Mais pour les secondes fois, ma seul réponse honnête serait de dire que j'étais en manque. Carrément en manque. Et c'est pour ça que je me faisais à chaque fois baiser.  Parce que j'étais hypnotisé. J'étais le voyeur piégé à son propre jeux.    

Je mâchais alors les images que l'écran me donnait à la petite cuillère et mon cerveau les digérait, à mon insu. Je vendais ma virginité pour un fantasme, ma sensibilité pour une érection, ma pudeur pour un souffle de dopamine, et alors je me dégoutais, je me haïssais.

Je m'arrête là. J'espère que vous comprendrez. Cette histoire n'est pas une visite guidée dans le labyrinthe des meilleurs sites pornos et cradingues qu'internet peut fournir. Aller sur Google, taper votre fantasme, vous tomberez bien vite sur une mine.
   
C'était à ce moment là, quand mon dégoût avait atteint son point culminant, que je décidais de m'arracher de l'écran, et que je rampais hors de cette cave puante pour rejoindre la profondeur et le moelleux de mon lit.


Parmi tout les cartons de déménagements imaginaires, les photos des souvenirs lointains et la rumeur sourde de l'extérieur, mon lit était toujours le dernier refuge.

Ces derniers temps, je n'avais jamais ressenti autant de bonheur à le retrouver. C'était comme une permission après 12h de marathon, une dernière clope avant de mourir. Ma tête sur le coussin, mon corps lové dans les linceuls de mes draps, mon esprit plongeait dans l'eau nébuleuse du rêve et ne se laissait plus polluer par d'autres pensées. Je me glissais doucement dans la nuit, dans ma prison de coton, ma bulle, et je m'évanouissais lentement, heureux, heureux de tout quitter.
   
C'est à cette période que je fis ta rencontre.


Autant je ne saisissais jamais le moment de bascule entre la réalité et le rêve, autant je ne contrôlais jamais les lois de cet autre monde qu'est l'Onirisme. J'étais perpétuellement l'acteur d'un scénario inconnu, perpétuellement assis dans une salle de cinéma glauque, où je ne savais  jamais si le projectionniste se foutais de ma gueule ou non, s'il me passait le film que j'aurait souhaité ou un navet porno-gore illégal. J'ose croire que les films qui me passèrent ces soirs-là,  ne furent pas des foutages de gueule. Je sais bien que l'esprit rationnel qui orchestre aujourd'hui notre monde, m'aurait rapatrier illico presto sur la terre ferme et m'aurais engueuler de mettre perdu là-haut, mais je voulais savourer ces rêves à pleine dent, me dire qu'il y avait encore un peu de fiction dans ma foutu vie, une fiction qui avait la force sauvage d'un vrai regard, une fiction qui aurait la beauté d'illuminer mon chemin boueux.

La première chose que je crus saisir, fut une chanson. Crystallised. Elle provenait d'une terrasse où le soleil faisait fondre ses derniers rayons d'or liquide sur les losanges d'un carrelage blanc. Il y avait des chaises longues, une piscine lisse et limpide, quelques buissons sur le côté et une vue imprenable sur une ville qui s'étendait en-dessous de nous, dans la pâleur chatoyante du crépuscule. Il y avait aussi une foule de gens par içi. Ils avaient tous des verres de champagne à la main.

Qu'est-ce que tu portais ? De quoi tu parlais? A quoi tu pensais ? Où est-ce que tu te tenais ? A quel époque on vivait ?  Dans quel foutu pays ça se passait? Tout ça n'avait pas d'importance. Plus aucune.

Je me suis approché et tu t'es écarté d'un groupe. Je passai près d'un homme qui avait un têtard tatoué sur l'omoplate et je m'avançai encore. Quelque chose s'était lié dans nos quatre yeux. Quelque chose qui ne devait pas avoir de nom. Tu as rigolé. Tu as passé une mèche de cheveux derrière ton oreille et tu as disparu.

Au matin, je me réveillai, patraque, comme si on venait de me largeur sur mon lit après un voyage de 8H en bagnoles. J'avais un sentiment d'euphorie aphrodisiaque entre les joues, un poids léger qui m'engourdissait les jambes. J'aurais pû faire mine de ne pas savoir pourquoi j'étais comme ça, mais je savais ce que c'était. Je pensais que ça ne pouvait pas arriver, mais je devais l'admettre, oui, je devais l'admettre: j'étais tombé amoureux d'une fille qui n'existait pas.

Je secouai mes cheveux, comme pour épousseter cette idée de ma tête, et après quelques cafés, je sortis de mon pieu et je partis rejoindre le lycée.
   
La journée passa au ralenti. Une journée copiée-collée. Une journée copiée-collée. Une journée où il fallait changer de regard pour voir un peu de magie, un peu de magie. J'arrivais au soir en un quart de secondes et je me replongeai dans mes rêves, avec l'excitation de l'amoureux qui retrouve sa dame-came. Sans transition.

Tu étais allongé sur un sofa noir et tu portais de la dentelle.

Tu semblais tout droit sortie d'un poème gothique. Une rose rouge enlacée autour d'un pilier de cathédrale. Une pomme pourpre plongé dans du pétrole chaud.

Tout était noir autour de toi, comme sur la scène d'un théâtre. Seul un faisceau de lumière descendait d'en haut, d'on-ne-sais-où, et il t'éclairait doucement, en tissant des ombres sur ton corps et ton visage. Un étrange tableau était accroché au mur derrière toi. Il y avait deux amants morts au milieu d'une mare pleine de têtards. Il me semblait avoir déjà vu ces créatures, mais je n'arrivais pas à retrouver leurs lieux d'origines. C'était comme un récurrence, un bug du système.

Tes cheveux descendaient le long de tes épaules et venait s'endormir en boucle au creux de ta poitrine.Tes hanches de lait formaient des courbes en marbre blanc qui vous aurait fait chavirer un petit marin d'eau douce, et tu me regardais, et tu m'envoûtais.

Je m'appelais Merick, Lane, Anton, Quasimodo. Je n'avais pas de nom. Tu t'appelais Lize, Julie, Amy et Esmeralda. Tu n'avais pas de nom.Tu croisas tes jambes sur le velour noir du sofa et tu t'approchas de moi, les deux seins tendues. Je t'embrassai sur les lèvres, la langue collée sous la tienne, charnue et vivante, et je me réveillai, encore trop tard, avec le goût des lèvres sur les miennes et l'impression que si je fermais les yeux, je pouvais encore te sentir près de moi.

Il était 5 heures du matin et je bandais. C'était dur, risible, animal. Je me masturbai alors en pensant à toi, agitant ma main, les yeux au plafond. Et puis j'allumais la lumière et je jetai mon mouchoir à la poubelle, comme pour mettre mon rêve parmi les déchets.

Je sortais de chez moi et je me postait près de la rivière qui chuchotait de sa voix liquide. Je m'allumai une cigarette et je tirais dessus pour me calmer, une chanson de Tom Waits accrochées aux oreilles. Je le laissais crooner une poésie sublime, avec sa voix glauque de monstre des tavernes et je laissais l'odeur de la cigarette m'envahir, pour noyer ensuite ma tristesse, dans l'eau de mes pleurs, les yeux fixés sur ses lèvres qui bougeaient dans le vide.

"And i watched you, as you disapeared... And i watched you, as you disapeared..."

Assis, le dos contreun arbre, j'écoutais ton rire de champagne, les feulements des chats jaunes dans l'obscurité, et je buvais l'alcool de la nuit qui s'écoulait lentement sur mes lèvres depuis le ciel, et je contemplais une étoile, là-haut. Je l'avais attendue la petite goutte de lumière, je l'avais tellement attendue.

Mon rêve me revint en tête et je le trouvai alors à chier. Il ressemblait à un vieux porno. Un type, sourire au lèvres, habillé en costard mate la belle donzelle allongée sur le sofa, lascive, la bouche humide, et d'un coup, déboutonne sa braguette, comme un vieil acteur blasé.

Mais c'était mon rêve bordel, c'était réel. C'était mon film à deux balles sur 35 mm de cervelle. Qu'importe le porno, c'est là. Vif et clair.


La journée qui suivit ne fut intéressante que pour deux choses.

La première vint d'un pote qui avait écrit une phrase dans la marge de son cahier. Je l'avais retenu parce qu'elle dénotait avec ce que j'écoutais en cour :

"Les artistes abreuvent la plante vénéneuse de leurs œuvres, du sang qui jaillit de leurs veines."

   

J'avais rien à ajouter. C'était ça.

Quand à la deuxième chose, elle survint au moment de rentrer chez moi.

Levant les yeux au passage d'une silhouette, je crus reconnaître la fille de mon rêve. Je fis volte-face et je me mit à la suivre, discrètement. Elle me faisait dos, son chignon mal refermé et ses mèches folles qui partaient dans tout les sens. Elle marchait tranquillement, son parfum se glissant jusqu'à moi. J'accélérai la cadence et je me disais : " ça y est putain, je vais la retrouver..." Mais elle ne se retournait pas et je n'arrivais pas à voir son visage. J'accélérai encore. Elle traversait la route. Je pensai pouvoir apercevoir ses lignes, mais d'autres personnes traversèrent mon champ de vision et le feu passa au vert pour les voitures.

A croire que le destin m'empêchait de la retrouver. Mais vous savez ce que j'en pensais du destin? Je l'emmerdais, moi, le destin. Je l'envoyais balader au quatre vents. Je ne voulais pas que le destin soit une excuse contre les évènements de la vie. Bien sûr, je ne voulais pas avouer que nos existences étaient en fait orchestré par ce putain de destin. Ce que je voulais, c'était essayer de lui forcer la main, de le tourner à mon avantage, et pas me laisser guider par lui.

Je traversai la rue en bravant deux voitures, qui pilèrent sur le coup, et je rejoignis une grande place. Je scrutais les gens, me tournant face à eux pour les identifier. Je tournai avec insistance autour de leurs visages. Et je la retrouvai enfin, dans les bras d'un homme, le visage rayonnant et la robe qui virevoltait. Je m'arrêtais là, et je repris le chemin du retour, frustré, sombre, hanté. Ce n'était pas elle, non, ça ne pouvait pas être elle.

Le soir, je retournai sur le site de photos en espérant retrouver son visage. J'écumais les liens, je faisais défiler les barres horizontales, je cliquais sur tout ce qui pouvait lui ressembler de près ou de loin. Je pensais qu'un des visages des filles d'internet avait inspirer mon rêve et que je pourrais le retrouver si je revenais sur le bon site. Je passais devant des photos de nana dénudés, qui était plongée dans de la boue, de nanas qui suçaient des bites de cheval à côté de photos d'Hitler en gros plan, et encore d'autres photos de dissections, de vers grouillants dans de la chaire morte ou de visages dégoulinant de spermes.

Arrivé à pleine saturation, je fermais les fenêtres et je rejoignais mon lit. 

J'étais dans un bar et je vidais une chope de Guiness. Il y avait encore des têtards dans le coin, mais je n'arrivais pas à les voir correctement. J'avais de la buée sur les écrans de contrôle. Les visages se floutaient, se pixelisaient, se mélangeaient dans une immense orgie rose et bruyante. Mais tu étais là, nette comme une vrai image. Je m'approchai de ta table et je t'emmenai en-dehors du bar. Nous traversâmes les boulevards et tu m'amenas jusqu'à ton appartement. Tu montais escaliers en rigolant. Tu avais des yeux à crever des cœurs, des lèvres à grignoter, un sourire à faire pleurer un saule. Tu mis un doigt sur ma bouche pour me demander de faire le silence et nous rentrâmes chez toi. Mon excitation grimpait de plus en plus. J'avais les jambes completly numb.

Tu allumas une veilleuse, après avoir rangé ta veste, et tu te rapprochas de moi, lentement, ton bassin contre le mien. Je plongeai dans ton regard et tu plongeais dans le mien. Tu m'embrassas en me mordillant gentillement la lèvre, puis tu passas la langue par-dessus. Je baisai ensuite ton cou, mes lèvres sur ta peau d'abricot et tu glissais ta main sous mon tee-shirt. Je sentis un frisson de délice me parcoururent le dos et tu rigolas.

Tu laissas ta main se glisser sous mon pantalon, avec un air très sérieux et je fis de même en déboutonnant les premiers boutons de ton jean. Je sentis le bord de tes lèvres sous ta culotte. Tu sursautas sur le coup, puis tu soupiras, encore et encore. Tu m'enlevas le tee-shirt, en te mordant les lèvres et je pris les bouts de ton haut pour le soulever à mon tour, laissant  tes seins rebondirent sur ta poitrine, calfeutré dans les nids de ton soutien-gorge. Tu ouvris une porte derrière toi et nous nous rapprochâmes du lit. Tu m'allongeas sur les draps, et tu t'avanças lentement sur mon ventre, remontant vers mon visage comme un chat, tes deux seins soutenues dans le vide, offerts à mon regard. Je fis glisser en même temps ton pantalon, et je sentis ta chaire de poule le long des jambes. C'était exquis.

Nous nous retrouvâmes à genoux, l'un en face de l'autre, le cœur à 100 à l'heure, l'excitation palpable au bords de nos lèvres. Je sentais tes seins contre mon torse. L'humidité. L'odeur qui me rendait saoul. La fournaise. Les doigts qui glissaient. Les yeux cramés. La respiration qui s'accélérait. Tu étais fébrile. Tu étais à bout. Je dégrafais ton soutien-gorge et tu l'enlevais lentement, lentement, lentement... et tu plaçais tes bras dessus pour les cacher. Tu me souris. Dire que tu étais belle aurait été une insulte, un euphémisme traître, une lâcheté du langage. J'aurais pu te manger. Tu enlevas alors tes bras, et mes yeux s'arrêtèrent sur le bout de tes seins, roses, en sueur, pulpeux. Ta poitrine se soulevait et retombait au rythme de tes respirations. Tu avais les lèvres entrouvertes, les yeux à demi-fermés. Tu pris en main mon sexe et je glissai ma main dans ton entre-jambe. Tu fermas délicieusement les yeux, fronçant les sourcils de plaisir, puis tu enlevas mon boxer. Je pris ensuite la dentelle de ta culotte et je la fis glisser pour l'enlever. Tu te cambras et frémis. Tu t'abaissas sur mon ventre, puis tu remontas pour te calfeutrer contre moi, la chaleur nous étouffant presque, mes mains glissant le long de ta nuque, et  entre tes cheveux, comme un peigne dans de l'herbe.

D'une voix insoutenable, tu me chuchotas: "Prends moi s'il te plaît...". Je me retournai pour venir au-dessus de toi et tu soupiras, nos deux peaux collée l'une contre l'autre, mouillées par la sueur du rêve. Je pris mon membre en main et je m'abaissai lentement sous ton ventre, en te regardant du bout des yeux, ma main qui tremblait et mon sang qui avait la température de la lave. Je fis un mouvement de bassin et je te pénétrai, glissant doucement en toi. Tu te soulevas sur le coup, ton dos en forme de S, ta poitrine bombée, et je me retirais pour m'enfoncer à nouveau, plus profondément, une puissance entre les jambes, une douceur irrésistible dans mes veines. Tu avais la tête de côté, les joues rouges et brûlantes, et tes mains agrippaient les draps, comme pour contenir une vague...

Seul. Dans mon lit. Je me réveillai. Encore.

Je touchai mon boxer. Il collait à cause de la semence. C'était dégueulasse. Dégueulasse. Je pestai alors contre mon rêve et  je crachais ma haine en serrant les dents. C'était injuste, merde. Trop injuste. J'avais envie de chialer. De m'arracher le cœur. Comment tout cela pouvait-il être si réel, si chaud, si vrai? Comment? Merde! C'était pas possible! Y avait bien un truc de vrai là-dedans! Sinon, comment expliquer tout ça? Soit j'étais taré soit...

Un éclair de lucidité me frappa soudain. Je me rappelai d'une chose, d'une chose cruciale : Les Têtards. C'était le nom du bar dans lequel je l'avais rencontré. Et puis il y avait aussi le tatouage, le tableau : les indices.

Avec l'espoir que ça me mène quelque part, j'allumais mon ordinateur au première lueur de l'aube et je cherchais dans toute la ville, le bar en question.

Bien sûr, aucun site ne référençait Les Têtards. A croire que tout cela était finalement une fiction montée de toutes pièces par une scénariste alcoolique qui squattait le bureau de ma tête et qui n'enquillait des vodka cul-sec à chaque phrase. C'est à sa sœur, la mémoire, que je dû la remontée d'un autre souvenir. Je me rappelai soudain d'un poème que j'avais lu ou écrit au lycée, je ne sais plus. Je profitai de la pause de midi pour retrouver le texte. Il squattait un blog oublié, au milieu d'une arborescence inactive. Un jour, je vous le ferais lire, c'est promis. Il était lié à tout ça. Inconsciemment.

L'après-midi, je retournai en cours et je faisais semblant de suivre. C'était tellement facile. Être silencieux. Présent physiquement, absent mentalement. Je lorgnais à travers la fenêtre le toit du bahut et ses cheminées. Des colonnes de fumées s'en échappait. Elle se déhanchait sous le soleil. On aurait dit des exhalaisons volcaniques.

Et je rêvassais, je rêvassais encore. Je me shootais à l'onirisme. Je me laissais sombrer dans la drogue facile. J'avais les jambes engourdies, les yeux brumeux, le vide à mes pieds. Et je me rendais alors compte que je puais, que je puais atrocement. Cela devait faire bien une semaine que je ne m'étais pas lavé. Mon pantalon sentais l'urine et la graisse. Mon tee-shirt portait des traces de café et schlinguait la cigarette. Mais ce n'était pas grave. Je me shootais à dose de rêve condensé, je nourrissais mon âme pour fuir mon corps, je m'évaporais quelques instants, hors du monde, dans des forêts perdues, sur des sentiers tracés au milieu du ciel, et je ne puais plus.

Les cours finis, je me mis à fureter dans les bars de la ville. Un serveur  me répondit qu'il avait bien connu Les Têtards il y a quelque années, mais que le bar avait dû fermer depuis belle lurette. Un autre type, plus bourré que les autres, me raconta qu'il fallait aller se paumer du côté ouest de la ville, au bout de la rue St-Pierre. C'était là que je pourrais trouver le zinc, qu'il me dit. Je fis alors du stop jusqu'au bout de la ville et j'arrivai à l'endroit décrit, la nuit tombée. C'était une petite vitrine sale dans un coin de ruelle, avec l'enseigne des Têtards qui pendouillait au-dessus.

Le ventre noué en quatre, j'hésitai à renter. Je savais que je ne récolterais qu'une frustration de plus, et que tout ça n'était qu'un rêve sans airbag qui percuterait le réel de plein fouet. Je fis mine de rebrousser chemin, préférant le mensonge à la vérité, le fantasme au modèle. Mais après quelques pas, je m'arrêtai, trop excité de découvrir peut-être une pépite d'or dans tout ce merdier. Je franchis le seuil de la porte et je rentrai le bar.

Un comptoir s'allongea à ma gauche, derrière lequel se tenait un serveur, habillé comme un clown macabre. Il me regarda un instant avec ces yeux de grenouille, puis il retourna à ses verres et ses tasses.

Je faisais face à une petite assemblée. Ils chuchotaient entre eux. On aurait pu croire qu'il parlait tous des langues étrangères. Et malgré les veilleuses chatoyantes qui poudraient  les murs du bistrot de lumière, la fumée était si épaisse içi, que tous ces visages en était masqué, rendu quasi fantomatique.

Ils se tournèrent lentement vers moi, les uns après les autres.  Il y avait une telle faune, que je me serais crus en plein cauchemar. Il y avait une chimère aux cheveux-balais qui sirotait un kir, les jambes croisées, deux bêtes étranges à corne de mouflons qui discutaient autour de chopes de bières rouges, plus loin, il y avait des mollusques planqués sous les tables et des blattes discutaient au plafond, cliquetant entre des tâches noirâtres étranges. Il y avait un lézard en blouson, endormis dans un coin du bar, la tête sur l'épaule d'une gorgone sans yeux, il y avait au fond, plongé dans les ténèbres,  un ange sombre qui buvait un verre de lait. Sur le côté, il y avait encore un cochon en costard cravate, qui fumait une cigarette et qui jouait des morceaux funèbres sur un vieux piano désaccordé, un corbeau goth posé sur le haut de l'instrument. Il me dévisagèrent tous quelques instants et je crus les voir, comme on voit des yeux animaux, la nuit, à la lisière des forêts.

Je m'avançai encore et les visages se transformaient à chacun de mes pas, mutant aux désirs de mon imagination. Je montai les quelques marches jusqu'à l'estrade du fond, quand une fille habillé de noir m'effleura subitement le bras. Je me retournai sur le coup et j'empoignai sa main pour la retenir. Elle se retournait et me sourit, comme si elle savourait déjà ma frustration. Ce n'était pas elle, ou presque... Elle avait un grain de beauté sur la joue, une mèche bleue sur le bord de sa chevelure et une robe trop courte. Elle s'écarta et me dit au revoir d'un clin d'œil, me laissant sur le carreau, bête comme un amoureux qui se prend un vent.

Au fond du bar, un ogre obèse caressait une étrange sirène qui avait la bouche pleine de sang. Je jetai encore un coup d'œil aux chiottes tagués et je retournais sur mes pas, bredouille. Je demandais au serveur une pression et il s'exécuta, un sourire étrange au coin des lèvres. Son expression me fit soudain frémir. A tout les coups, ils étaient au courant de mon arrivée. Ils jouaient tous la comédie et ils se délectaient de mon désarroi, comme on regarde une bestiole en train d'agoniser sous ses yeux. Je suis sûr qu'ils savaient où elle est. Je suis sûr qu'ils étaient de mèches, que tout ça était encore un putain de rêve éveillé.

Je m'enfilais encore une gorgée et je décidai de questionner le serveur:

- Je cherche une fille.
-Tout les hommes en cherchent une. Et ceux qui n'en cherche pas, ne sont pas de ce bord.
-Elle a des cheveux noirs, elle est très belle et elle a un parfum particulier. Un mélange de violette et de savon.
-Trop de filles passent içi et seul les amoureux se souviennent des parfums. Je ne suis qu'un serveur...
-Vous vous foutez de ma gueule. Répondez-moi normalement, on n'est pas dans un film là...
-Faut bien rigoler de temps en temps. On ne croise pas assez souvent de nouveaux aux Têtards. Alors on en profite dès qu'il y a un qui pointe le bout de leurs semelles. On joue notre scénario...
-Et si je vous casse la gueule avec cette chope, vous aurez encore ce sourire débile au coin des lèvres? Vous lirez encore vos répliques avec votre air d'automate?
-Donnez-moi votre nom, on ne sait jamais...
-Pardon?
-Donnez-moi votre nom, on va vérifier quelque chose...

Je lui donnai et il sortit une feuille, sur laquelle était écrit tout une série de nom.

-Ah oui, il y en a une pour vous, suis-je bête. Prenez-en soin. Elle ne laisse jamais de courrier d'habitude.
-Je ne comprends rien à ce que vous...
-La lettre est dans votre poche... Enfin, normalement...

Je regardai à l'intérieur de ma veste. et il y avait effectivement une lettre.

-Mais comment?
-Elle a dû vous la mettre juste avant de partir
-Vous voulez dire que la fille de tout à l'heure?

Je me retournai vers les clients du bar, mais la fille de tout à l'heure n'était plus là. Comme évaporé.

-Elle n'aime pas trop se montrer. Estimez vous heureux de l'avoir vue. Je pense qu'il est temps pour vous de partir.

Je m'emparais aussitôt de l'enveloppe et je filais dans la rue. L'odeur de la nuit flottait dans l'air et un vent léger et tiède soufflait. Je m'assis sous un lampadaire, qui avait été assaillit par tout une armées d'insectes, attiré par l'ivresse de tant de lumière. J'arrachai la languette d'un coup de dent et je vis les premiers mots écrit à l'encre noir, mon cœur partant en charpie, mes veines, pleines à ras-bord, claquant sous ma peau.

" Cher Rêveur,

    Tu m'en voudras sûrement de t'avoir laisser tout seul, mais je ne pouvais pas faire autrement. C'était intense, je t'en remercie, mille fois, mais un élément qui t'es inconnu ne pouvait changer et ne pouvait nous aider. Tu viens de ce monde et je viens d'un autre. Je n'aurais pas dû venir te voir, je m'en excuse, je n'avais pas le droit, mon père me l'avait dit. Mais bon, j'ai succombé, je me suis laisser glisser dans ton monde. Je t'ai ouvert la porte et on s'est rencontré. C'était foiré d'avance, mais je ne regrette rien, si tu veux tout savoir. Seul ta peine me fait écrire ce soir, sur ce papier..."

Une goutte tomba et dilua l'encre des mots.

" Vous êtes tous des têtards, vous les humains. Vous avez de la chance. Chaque jour, quelque chose pousse en vous. Une nouvelle pensée, une nouvelle branchie ; un nouveau pas, une nouvelle patte. Qu'importe si tu n'existes pas pour moi. Continue ta transformation. Nous les Onirs, nous ne sommes que le peuple des Songes, impalpables, mais perceptible... Le bar n'est qu'un sas et vos rêves une passerelle. Il n'y aucun moyen de se rencontrer, si ce n'est lorsque vous êtes endormis ou inatentifs. Aujourd'hui, c'était une erreur, mais je voulais voir à quoi tu ressemblais vraiment. Hier et avant hier étaient des folies. J'ai bravé les règles de mon peuple et je suis descendu te voir. Je dois assumer maintenant et partir. "

Il pleuvait sur le papier et je savais d'où ça venait.

"Alors, fais moi une promesse, s'il te plaît.

Sois honnête avec toi même. Ne regrette rien. Tu seras ce que tu penses et tu écriras ce que tu es. Arrête la procrastination, c'est la maladie des faibles. Brave ta timidité. Ce n'est qu'un rempart invisible que tu surmonteras d'un coup de tête. Dis leur que tu les aimes et elles te répondront. Et surtout, n'essaie plus, fais-le, fais-le de toute tes forces.

Un jour, j'espère que nous nous recroiserons et j'aimerais alors ne plus te reconnaître.

Prends bien soin de toi.


Feldspath. "



La lettre s'arrêta net. Sur ce mot étrange. Et il troua définitivement les poches de mes yeux. Je reniflai comme un gamin, incapable de soutenir la vague, et mes joues se mirent soudain à ruisseler. J'essayai de regarder ailleurs, de porter mon attention sur quelque chose de stable et qui ne foutrait pas le camps aussitôt mon regard posé dessus. Il n'y avait plus de voiture à cette heure-là. Une affiche de Kick-Ass était placardé sur un panneau publicitaire et  les portes des maisons étaient closes et les fenêtres silencieusement sombres. J'avais du mal à respirer et je crois que s'il n'avait pas été là, je me serais foutu en l'air.

Il sortit d'une ruelle à la manière d'un monstre ambulant. Son ombre s'élargit aussitôt sur le trottoir, à quelques mètres de moi. Il bougonnait dans sa barbe et il reniflait le vent comme un chien. Il se pencha au-dessus d'une poubelle et se mit à fureter, extirpant un paquet Mc-Do vide, un vieux journal, un sachet plastique et un trognon de pomme entamées. Il prit la pomme et croqua dedans, puis, lorsqu'il atteint la deuxième poubelle, il s'arrêta, son chapeau de travers et ses sourcils froncés:

-Hey, p'tit, t'aurais pas 50 centimes?

Il s'approcha.

-Hey, p'tit, ça va pas? Oh, j'te cause!
- Si, si, ça va..." réussit-je à dire entre deux sursauts.
-Et bien on dirait pas. Tu ressembles à une bouteille qu'on aurait mal refermé. Est-ce que tu es une bouteille mal refermée?
-Bin non...
-Ah bah, ça me rassure... Et elle s'appelle comment la source de tout ces pleurs?
-Feldspath.
-Feds Quoi?
-Feldspath.
-Hum, j'connais pas ce truc.
-C'est un composant du granit. C'est un code.

J'émis un nouveau sursaut et j'essuyai la morve et la bave qui se mélangeait sur mon visage.

-J'vais te dire un truc p'tit. Faut pas se morfondre, comme ça, non, faut pas... Il faut faire de sa vie une aventure, tu vois? Sinon ça sert à rien. Tu m'écoutes quand j'te cause? C'est pas du baratin de foire c'qu'te raconte là!
-Oui, oui, je vous écoute.

Le clodo s'assit près de moi et il prit la lettre, mais il n'arriva pas à la lire. Tout était brouillé. Il m'a alors proposé une gorgée de bière et il m'a alors raconté sa vie de clochard céleste. On s'est quitté aux aurores et j'ai rejoint le lycée à pied. En passant sous un immeuble, j'entendis "That's the way i wanna rock and roll". Il était 7h du matin et je n'avais pas sommeil.

Il disait qu'il y avait des bateaux qui descendait du ciel au milieu de la nuit et il disait qu'il fallait attendre que les étoiles brillent et que le ciel soit tout noir. Il disait qu'il y avait un vieil homme qui tenait la barre et qui vous emmenait faire un petit tour si vous laissiez une partie de vos valises sur les quais. Il disait qu'il n'y avait rien de plus magnifique qu'une ville qui se balance sous vos pieds, rien de plus doux que le claquement des voiles qui accompagne le murmure du vent. Il disait que la nuit avait une couleur magique, une teinte de bleu d'outre-mer, un fond d'un noir d'onyx et des éclats d'étoile pâle et nacré, éparpillé un peu partout, et qui donnait cette aura singulier, cette phosphorescence inimitable. Il disait que la nuit avait une couleur magique et ça donnerait la chair de poule à une statue de cathédrale.

Je me suis dit qu'il avait bu un peu trop de bière, mais je me suis dit aussi qu'il parlait en images et que j'étais peut-être un peu trop con et trop lent pour comprendre. Je repensais à la lettre et, séchant une dernière larme, je me dis qu'il y avait peut-être un bateau qui m'attendait quelque part, mais qu'il fallait que je me bouge le cul si je voulais être à l'heure au rendez-vous.

Zonz

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