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2ème Concours des 24h de la Nouvelle.
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22 mai 2010

FELDSPATH. Quand je m'ennuyais le soir, devant

FELDSPATH.






Quand je m'ennuyais le soir, devant mon écran d'ordinateur, le visage amorphe et la main sous le menton, il m'arrivait souvent de descendre dans les égouts d'Internet.

Vous les connaissez peut-être ces endroits, ou peut-être pas, me direz-vous, et c'est tout à votre avantage. Parce que je ne vous y invite pas. Cela serait plus le genre de truc que je conseillerais aux anorexiques pour les aider à vomir, si vous voyez l'ambiance.
   
J'ai l'impression que ces endroits ne connaisse aucune limites. C'est simple, plus rien est impossible entre ces murs. Cela devient si détaché du monde réel que vous en perdez votre regard critique et votre morale, ce truc là, qui d'habitude vous sert de barrière. Il y a des couloirs glauques où les murs suent par tout les pores, des chiottes dégoulinant où des flots d'images sortent de la cuvette et jaillissent à votre gueule, et puis il y a ces ombres sales qui se détachent au bords d'étranges maisons closes où des lumières difformes s'entremêlent avec violence.

Il m'arrivait de croiser des images que même mon esprit pervers n'aurait jamais pût imaginer. Un vagin visqueux qui dégueulait des câbles électriques rouillé, une vidéo de surveillance dans un métro japonais, qui filmait un homme se couchant sur les rails, quelques secondes avant l'entrée en gare des wagons, et puis des images cradingues de nanas qui se laissaient enfoncer des godes huilés et grisâtres par des robots anonymes, entièrement mécanisé et in-humanisé. Et je pouvais toujours trouver pire. Toujours. C'était une des lois d'internet. Il existait  toujours une image ou une vidéo plus vomitive que toutes celles que vous aviez pu voir. Mes yeux avaient assez morflé. Je pouvais dire que cette règle fonctionnait.
   
Et dans tout ce merdier, il arrivait aussi que je croise des portraits de filles, dont je tombais aussitôt amoureux. Sans m'en rendre compte, bien évidement. C'était de simples filles, sans tâches ni spermes sur le visage. Elles me regardaient de l'autre côté du monde et elles me souriaient. Des filles sans identités, des filles sans pudeurs, des filles qui me hantaient l'esprit longtemps après, comme des visages croisées en flash dans la rue.
   
Vous me demanderez: Pourquoi j'allais alors me plonger dans ces sites vaseux, si je savais que c'était horrible? Pour ma première fois, j'ai une excuse: Je ne savais pas où je mettais les pieds. Mais pour les secondes fois, ma seul réponse honnête serait de dire que j'étais en manque. Carrément en manque. Et c'est pour ça que je me faisais à chaque fois baiser.  Parce que j'étais hypnotisé. J'étais le voyeur piégé à son propre jeux.    

Je mâchais alors les images que l'écran me donnait à la petite cuillère et mon cerveau les digérait, à mon insu. Je vendais ma virginité pour un fantasme, ma sensibilité pour une érection, ma pudeur pour un souffle de dopamine, et alors je me dégoutais, je me haïssais.

Je m'arrête là. J'espère que vous comprendrez. Cette histoire n'est pas une visite guidée dans le labyrinthe des meilleurs sites pornos et cradingues qu'internet peut fournir. Aller sur Google, taper votre fantasme, vous tomberez bien vite sur une mine.
   
C'était à ce moment là, quand mon dégoût avait atteint son point culminant, que je décidais de m'arracher de l'écran, et que je rampais hors de cette cave puante pour rejoindre la profondeur et le moelleux de mon lit.


Parmi tout les cartons de déménagements imaginaires, les photos des souvenirs lointains et la rumeur sourde de l'extérieur, mon lit était toujours le dernier refuge.

Ces derniers temps, je n'avais jamais ressenti autant de bonheur à le retrouver. C'était comme une permission après 12h de marathon, une dernière clope avant de mourir. Ma tête sur le coussin, mon corps lové dans les linceuls de mes draps, mon esprit plongeait dans l'eau nébuleuse du rêve et ne se laissait plus polluer par d'autres pensées. Je me glissais doucement dans la nuit, dans ma prison de coton, ma bulle, et je m'évanouissais lentement, heureux, heureux de tout quitter.
   
C'est à cette période que je fis ta rencontre.


Autant je ne saisissais jamais le moment de bascule entre la réalité et le rêve, autant je ne contrôlais jamais les lois de cet autre monde qu'est l'Onirisme. J'étais perpétuellement l'acteur d'un scénario inconnu, perpétuellement assis dans une salle de cinéma glauque, où je ne savais  jamais si le projectionniste se foutais de ma gueule ou non, s'il me passait le film que j'aurait souhaité ou un navet porno-gore illégal. J'ose croire que les films qui me passèrent ces soirs-là,  ne furent pas des foutages de gueule. Je sais bien que l'esprit rationnel qui orchestre aujourd'hui notre monde, m'aurait rapatrier illico presto sur la terre ferme et m'aurais engueuler de mettre perdu là-haut, mais je voulais savourer ces rêves à pleine dent, me dire qu'il y avait encore un peu de fiction dans ma foutu vie, une fiction qui avait la force sauvage d'un vrai regard, une fiction qui aurait la beauté d'illuminer mon chemin boueux.

La première chose que je crus saisir, fut une chanson. Crystallised. Elle provenait d'une terrasse où le soleil faisait fondre ses derniers rayons d'or liquide sur les losanges d'un carrelage blanc. Il y avait des chaises longues, une piscine lisse et limpide, quelques buissons sur le côté et une vue imprenable sur une ville qui s'étendait en-dessous de nous, dans la pâleur chatoyante du crépuscule. Il y avait aussi une foule de gens par içi. Ils avaient tous des verres de champagne à la main.

Qu'est-ce que tu portais ? De quoi tu parlais? A quoi tu pensais ? Où est-ce que tu te tenais ? A quel époque on vivait ?  Dans quel foutu pays ça se passait? Tout ça n'avait pas d'importance. Plus aucune.

Je me suis approché et tu t'es écarté d'un groupe. Je passai près d'un homme qui avait un têtard tatoué sur l'omoplate et je m'avançai encore. Quelque chose s'était lié dans nos quatre yeux. Quelque chose qui ne devait pas avoir de nom. Tu as rigolé. Tu as passé une mèche de cheveux derrière ton oreille et tu as disparu.

Au matin, je me réveillai, patraque, comme si on venait de me largeur sur mon lit après un voyage de 8H en bagnoles. J'avais un sentiment d'euphorie aphrodisiaque entre les joues, un poids léger qui m'engourdissait les jambes. J'aurais pû faire mine de ne pas savoir pourquoi j'étais comme ça, mais je savais ce que c'était. Je pensais que ça ne pouvait pas arriver, mais je devais l'admettre, oui, je devais l'admettre: j'étais tombé amoureux d'une fille qui n'existait pas.

Je secouai mes cheveux, comme pour épousseter cette idée de ma tête, et après quelques cafés, je sortis de mon pieu et je partis rejoindre le lycée.
   
La journée passa au ralenti. Une journée copiée-collée. Une journée copiée-collée. Une journée où il fallait changer de regard pour voir un peu de magie, un peu de magie. J'arrivais au soir en un quart de secondes et je me replongeai dans mes rêves, avec l'excitation de l'amoureux qui retrouve sa dame-came. Sans transition.

Tu étais allongé sur un sofa noir et tu portais de la dentelle.

Tu semblais tout droit sortie d'un poème gothique. Une rose rouge enlacée autour d'un pilier de cathédrale. Une pomme pourpre plongé dans du pétrole chaud.

Tout était noir autour de toi, comme sur la scène d'un théâtre. Seul un faisceau de lumière descendait d'en haut, d'on-ne-sais-où, et il t'éclairait doucement, en tissant des ombres sur ton corps et ton visage. Un étrange tableau était accroché au mur derrière toi. Il y avait deux amants morts au milieu d'une mare pleine de têtards. Il me semblait avoir déjà vu ces créatures, mais je n'arrivais pas à retrouver leurs lieux d'origines. C'était comme un récurrence, un bug du système.

Tes cheveux descendaient le long de tes épaules et venait s'endormir en boucle au creux de ta poitrine.Tes hanches de lait formaient des courbes en marbre blanc qui vous aurait fait chavirer un petit marin d'eau douce, et tu me regardais, et tu m'envoûtais.

Je m'appelais Merick, Lane, Anton, Quasimodo. Je n'avais pas de nom. Tu t'appelais Lize, Julie, Amy et Esmeralda. Tu n'avais pas de nom.Tu croisas tes jambes sur le velour noir du sofa et tu t'approchas de moi, les deux seins tendues. Je t'embrassai sur les lèvres, la langue collée sous la tienne, charnue et vivante, et je me réveillai, encore trop tard, avec le goût des lèvres sur les miennes et l'impression que si je fermais les yeux, je pouvais encore te sentir près de moi.

Il était 5 heures du matin et je bandais. C'était dur, risible, animal. Je me masturbai alors en pensant à toi, agitant ma main, les yeux au plafond. Et puis j'allumais la lumière et je jetai mon mouchoir à la poubelle, comme pour mettre mon rêve parmi les déchets.

Je sortais de chez moi et je me postait près de la rivière qui chuchotait de sa voix liquide. Je m'allumai une cigarette et je tirais dessus pour me calmer, une chanson de Tom Waits accrochées aux oreilles. Je le laissais crooner une poésie sublime, avec sa voix glauque de monstre des tavernes et je laissais l'odeur de la cigarette m'envahir, pour noyer ensuite ma tristesse, dans l'eau de mes pleurs, les yeux fixés sur ses lèvres qui bougeaient dans le vide.

"And i watched you, as you disapeared... And i watched you, as you disapeared..."

Assis, le dos contreun arbre, j'écoutais ton rire de champagne, les feulements des chats jaunes dans l'obscurité, et je buvais l'alcool de la nuit qui s'écoulait lentement sur mes lèvres depuis le ciel, et je contemplais une étoile, là-haut. Je l'avais attendue la petite goutte de lumière, je l'avais tellement attendue.

Mon rêve me revint en tête et je le trouvai alors à chier. Il ressemblait à un vieux porno. Un type, sourire au lèvres, habillé en costard mate la belle donzelle allongée sur le sofa, lascive, la bouche humide, et d'un coup, déboutonne sa braguette, comme un vieil acteur blasé.

Mais c'était mon rêve bordel, c'était réel. C'était mon film à deux balles sur 35 mm de cervelle. Qu'importe le porno, c'est là. Vif et clair.


La journée qui suivit ne fut intéressante que pour deux choses.

La première vint d'un pote qui avait écrit une phrase dans la marge de son cahier. Je l'avais retenu parce qu'elle dénotait avec ce que j'écoutais en cour :

"Les artistes abreuvent la plante vénéneuse de leurs œuvres, du sang qui jaillit de leurs veines."

   

J'avais rien à ajouter. C'était ça.

Quand à la deuxième chose, elle survint au moment de rentrer chez moi.

Levant les yeux au passage d'une silhouette, je crus reconnaître la fille de mon rêve. Je fis volte-face et je me mit à la suivre, discrètement. Elle me faisait dos, son chignon mal refermé et ses mèches folles qui partaient dans tout les sens. Elle marchait tranquillement, son parfum se glissant jusqu'à moi. J'accélérai la cadence et je me disais : " ça y est putain, je vais la retrouver..." Mais elle ne se retournait pas et je n'arrivais pas à voir son visage. J'accélérai encore. Elle traversait la route. Je pensai pouvoir apercevoir ses lignes, mais d'autres personnes traversèrent mon champ de vision et le feu passa au vert pour les voitures.

A croire que le destin m'empêchait de la retrouver. Mais vous savez ce que j'en pensais du destin? Je l'emmerdais, moi, le destin. Je l'envoyais balader au quatre vents. Je ne voulais pas que le destin soit une excuse contre les évènements de la vie. Bien sûr, je ne voulais pas avouer que nos existences étaient en fait orchestré par ce putain de destin. Ce que je voulais, c'était essayer de lui forcer la main, de le tourner à mon avantage, et pas me laisser guider par lui.

Je traversai la rue en bravant deux voitures, qui pilèrent sur le coup, et je rejoignis une grande place. Je scrutais les gens, me tournant face à eux pour les identifier. Je tournai avec insistance autour de leurs visages. Et je la retrouvai enfin, dans les bras d'un homme, le visage rayonnant et la robe qui virevoltait. Je m'arrêtais là, et je repris le chemin du retour, frustré, sombre, hanté. Ce n'était pas elle, non, ça ne pouvait pas être elle.

Le soir, je retournai sur le site de photos en espérant retrouver son visage. J'écumais les liens, je faisais défiler les barres horizontales, je cliquais sur tout ce qui pouvait lui ressembler de près ou de loin. Je pensais qu'un des visages des filles d'internet avait inspirer mon rêve et que je pourrais le retrouver si je revenais sur le bon site. Je passais devant des photos de nana dénudés, qui était plongée dans de la boue, de nanas qui suçaient des bites de cheval à côté de photos d'Hitler en gros plan, et encore d'autres photos de dissections, de vers grouillants dans de la chaire morte ou de visages dégoulinant de spermes.

Arrivé à pleine saturation, je fermais les fenêtres et je rejoignais mon lit. 

J'étais dans un bar et je vidais une chope de Guiness. Il y avait encore des têtards dans le coin, mais je n'arrivais pas à les voir correctement. J'avais de la buée sur les écrans de contrôle. Les visages se floutaient, se pixelisaient, se mélangeaient dans une immense orgie rose et bruyante. Mais tu étais là, nette comme une vrai image. Je m'approchai de ta table et je t'emmenai en-dehors du bar. Nous traversâmes les boulevards et tu m'amenas jusqu'à ton appartement. Tu montais escaliers en rigolant. Tu avais des yeux à crever des cœurs, des lèvres à grignoter, un sourire à faire pleurer un saule. Tu mis un doigt sur ma bouche pour me demander de faire le silence et nous rentrâmes chez toi. Mon excitation grimpait de plus en plus. J'avais les jambes completly numb.

Tu allumas une veilleuse, après avoir rangé ta veste, et tu te rapprochas de moi, lentement, ton bassin contre le mien. Je plongeai dans ton regard et tu plongeais dans le mien. Tu m'embrassas en me mordillant gentillement la lèvre, puis tu passas la langue par-dessus. Je baisai ensuite ton cou, mes lèvres sur ta peau d'abricot et tu glissais ta main sous mon tee-shirt. Je sentis un frisson de délice me parcoururent le dos et tu rigolas.

Tu laissas ta main se glisser sous mon pantalon, avec un air très sérieux et je fis de même en déboutonnant les premiers boutons de ton jean. Je sentis le bord de tes lèvres sous ta culotte. Tu sursautas sur le coup, puis tu soupiras, encore et encore. Tu m'enlevas le tee-shirt, en te mordant les lèvres et je pris les bouts de ton haut pour le soulever à mon tour, laissant  tes seins rebondirent sur ta poitrine, calfeutré dans les nids de ton soutien-gorge. Tu ouvris une porte derrière toi et nous nous rapprochâmes du lit. Tu m'allongeas sur les draps, et tu t'avanças lentement sur mon ventre, remontant vers mon visage comme un chat, tes deux seins soutenues dans le vide, offerts à mon regard. Je fis glisser en même temps ton pantalon, et je sentis ta chaire de poule le long des jambes. C'était exquis.

Nous nous retrouvâmes à genoux, l'un en face de l'autre, le cœur à 100 à l'heure, l'excitation palpable au bords de nos lèvres. Je sentais tes seins contre mon torse. L'humidité. L'odeur qui me rendait saoul. La fournaise. Les doigts qui glissaient. Les yeux cramés. La respiration qui s'accélérait. Tu étais fébrile. Tu étais à bout. Je dégrafais ton soutien-gorge et tu l'enlevais lentement, lentement, lentement... et tu plaçais tes bras dessus pour les cacher. Tu me souris. Dire que tu étais belle aurait été une insulte, un euphémisme traître, une lâcheté du langage. J'aurais pu te manger. Tu enlevas alors tes bras, et mes yeux s'arrêtèrent sur le bout de tes seins, roses, en sueur, pulpeux. Ta poitrine se soulevait et retombait au rythme de tes respirations. Tu avais les lèvres entrouvertes, les yeux à demi-fermés. Tu pris en main mon sexe et je glissai ma main dans ton entre-jambe. Tu fermas délicieusement les yeux, fronçant les sourcils de plaisir, puis tu enlevas mon boxer. Je pris ensuite la dentelle de ta culotte et je la fis glisser pour l'enlever. Tu te cambras et frémis. Tu t'abaissas sur mon ventre, puis tu remontas pour te calfeutrer contre moi, la chaleur nous étouffant presque, mes mains glissant le long de ta nuque, et  entre tes cheveux, comme un peigne dans de l'herbe.

D'une voix insoutenable, tu me chuchotas: "Prends moi s'il te plaît...". Je me retournai pour venir au-dessus de toi et tu soupiras, nos deux peaux collée l'une contre l'autre, mouillées par la sueur du rêve. Je pris mon membre en main et je m'abaissai lentement sous ton ventre, en te regardant du bout des yeux, ma main qui tremblait et mon sang qui avait la température de la lave. Je fis un mouvement de bassin et je te pénétrai, glissant doucement en toi. Tu te soulevas sur le coup, ton dos en forme de S, ta poitrine bombée, et je me retirais pour m'enfoncer à nouveau, plus profondément, une puissance entre les jambes, une douceur irrésistible dans mes veines. Tu avais la tête de côté, les joues rouges et brûlantes, et tes mains agrippaient les draps, comme pour contenir une vague...

Seul. Dans mon lit. Je me réveillai. Encore.

Je touchai mon boxer. Il collait à cause de la semence. C'était dégueulasse. Dégueulasse. Je pestai alors contre mon rêve et  je crachais ma haine en serrant les dents. C'était injuste, merde. Trop injuste. J'avais envie de chialer. De m'arracher le cœur. Comment tout cela pouvait-il être si réel, si chaud, si vrai? Comment? Merde! C'était pas possible! Y avait bien un truc de vrai là-dedans! Sinon, comment expliquer tout ça? Soit j'étais taré soit...

Un éclair de lucidité me frappa soudain. Je me rappelai d'une chose, d'une chose cruciale : Les Têtards. C'était le nom du bar dans lequel je l'avais rencontré. Et puis il y avait aussi le tatouage, le tableau : les indices.

Avec l'espoir que ça me mène quelque part, j'allumais mon ordinateur au première lueur de l'aube et je cherchais dans toute la ville, le bar en question.

Bien sûr, aucun site ne référençait Les Têtards. A croire que tout cela était finalement une fiction montée de toutes pièces par une scénariste alcoolique qui squattait le bureau de ma tête et qui n'enquillait des vodka cul-sec à chaque phrase. C'est à sa sœur, la mémoire, que je dû la remontée d'un autre souvenir. Je me rappelai soudain d'un poème que j'avais lu ou écrit au lycée, je ne sais plus. Je profitai de la pause de midi pour retrouver le texte. Il squattait un blog oublié, au milieu d'une arborescence inactive. Un jour, je vous le ferais lire, c'est promis. Il était lié à tout ça. Inconsciemment.

L'après-midi, je retournai en cours et je faisais semblant de suivre. C'était tellement facile. Être silencieux. Présent physiquement, absent mentalement. Je lorgnais à travers la fenêtre le toit du bahut et ses cheminées. Des colonnes de fumées s'en échappait. Elle se déhanchait sous le soleil. On aurait dit des exhalaisons volcaniques.

Et je rêvassais, je rêvassais encore. Je me shootais à l'onirisme. Je me laissais sombrer dans la drogue facile. J'avais les jambes engourdies, les yeux brumeux, le vide à mes pieds. Et je me rendais alors compte que je puais, que je puais atrocement. Cela devait faire bien une semaine que je ne m'étais pas lavé. Mon pantalon sentais l'urine et la graisse. Mon tee-shirt portait des traces de café et schlinguait la cigarette. Mais ce n'était pas grave. Je me shootais à dose de rêve condensé, je nourrissais mon âme pour fuir mon corps, je m'évaporais quelques instants, hors du monde, dans des forêts perdues, sur des sentiers tracés au milieu du ciel, et je ne puais plus.

Les cours finis, je me mis à fureter dans les bars de la ville. Un serveur  me répondit qu'il avait bien connu Les Têtards il y a quelque années, mais que le bar avait dû fermer depuis belle lurette. Un autre type, plus bourré que les autres, me raconta qu'il fallait aller se paumer du côté ouest de la ville, au bout de la rue St-Pierre. C'était là que je pourrais trouver le zinc, qu'il me dit. Je fis alors du stop jusqu'au bout de la ville et j'arrivai à l'endroit décrit, la nuit tombée. C'était une petite vitrine sale dans un coin de ruelle, avec l'enseigne des Têtards qui pendouillait au-dessus.

Le ventre noué en quatre, j'hésitai à renter. Je savais que je ne récolterais qu'une frustration de plus, et que tout ça n'était qu'un rêve sans airbag qui percuterait le réel de plein fouet. Je fis mine de rebrousser chemin, préférant le mensonge à la vérité, le fantasme au modèle. Mais après quelques pas, je m'arrêtai, trop excité de découvrir peut-être une pépite d'or dans tout ce merdier. Je franchis le seuil de la porte et je rentrai le bar.

Un comptoir s'allongea à ma gauche, derrière lequel se tenait un serveur, habillé comme un clown macabre. Il me regarda un instant avec ces yeux de grenouille, puis il retourna à ses verres et ses tasses.

Je faisais face à une petite assemblée. Ils chuchotaient entre eux. On aurait pu croire qu'il parlait tous des langues étrangères. Et malgré les veilleuses chatoyantes qui poudraient  les murs du bistrot de lumière, la fumée était si épaisse içi, que tous ces visages en était masqué, rendu quasi fantomatique.

Ils se tournèrent lentement vers moi, les uns après les autres.  Il y avait une telle faune, que je me serais crus en plein cauchemar. Il y avait une chimère aux cheveux-balais qui sirotait un kir, les jambes croisées, deux bêtes étranges à corne de mouflons qui discutaient autour de chopes de bières rouges, plus loin, il y avait des mollusques planqués sous les tables et des blattes discutaient au plafond, cliquetant entre des tâches noirâtres étranges. Il y avait un lézard en blouson, endormis dans un coin du bar, la tête sur l'épaule d'une gorgone sans yeux, il y avait au fond, plongé dans les ténèbres,  un ange sombre qui buvait un verre de lait. Sur le côté, il y avait encore un cochon en costard cravate, qui fumait une cigarette et qui jouait des morceaux funèbres sur un vieux piano désaccordé, un corbeau goth posé sur le haut de l'instrument. Il me dévisagèrent tous quelques instants et je crus les voir, comme on voit des yeux animaux, la nuit, à la lisière des forêts.

Je m'avançai encore et les visages se transformaient à chacun de mes pas, mutant aux désirs de mon imagination. Je montai les quelques marches jusqu'à l'estrade du fond, quand une fille habillé de noir m'effleura subitement le bras. Je me retournai sur le coup et j'empoignai sa main pour la retenir. Elle se retournait et me sourit, comme si elle savourait déjà ma frustration. Ce n'était pas elle, ou presque... Elle avait un grain de beauté sur la joue, une mèche bleue sur le bord de sa chevelure et une robe trop courte. Elle s'écarta et me dit au revoir d'un clin d'œil, me laissant sur le carreau, bête comme un amoureux qui se prend un vent.

Au fond du bar, un ogre obèse caressait une étrange sirène qui avait la bouche pleine de sang. Je jetai encore un coup d'œil aux chiottes tagués et je retournais sur mes pas, bredouille. Je demandais au serveur une pression et il s'exécuta, un sourire étrange au coin des lèvres. Son expression me fit soudain frémir. A tout les coups, ils étaient au courant de mon arrivée. Ils jouaient tous la comédie et ils se délectaient de mon désarroi, comme on regarde une bestiole en train d'agoniser sous ses yeux. Je suis sûr qu'ils savaient où elle est. Je suis sûr qu'ils étaient de mèches, que tout ça était encore un putain de rêve éveillé.

Je m'enfilais encore une gorgée et je décidai de questionner le serveur:

- Je cherche une fille.
-Tout les hommes en cherchent une. Et ceux qui n'en cherche pas, ne sont pas de ce bord.
-Elle a des cheveux noirs, elle est très belle et elle a un parfum particulier. Un mélange de violette et de savon.
-Trop de filles passent içi et seul les amoureux se souviennent des parfums. Je ne suis qu'un serveur...
-Vous vous foutez de ma gueule. Répondez-moi normalement, on n'est pas dans un film là...
-Faut bien rigoler de temps en temps. On ne croise pas assez souvent de nouveaux aux Têtards. Alors on en profite dès qu'il y a un qui pointe le bout de leurs semelles. On joue notre scénario...
-Et si je vous casse la gueule avec cette chope, vous aurez encore ce sourire débile au coin des lèvres? Vous lirez encore vos répliques avec votre air d'automate?
-Donnez-moi votre nom, on ne sait jamais...
-Pardon?
-Donnez-moi votre nom, on va vérifier quelque chose...

Je lui donnai et il sortit une feuille, sur laquelle était écrit tout une série de nom.

-Ah oui, il y en a une pour vous, suis-je bête. Prenez-en soin. Elle ne laisse jamais de courrier d'habitude.
-Je ne comprends rien à ce que vous...
-La lettre est dans votre poche... Enfin, normalement...

Je regardai à l'intérieur de ma veste. et il y avait effectivement une lettre.

-Mais comment?
-Elle a dû vous la mettre juste avant de partir
-Vous voulez dire que la fille de tout à l'heure?

Je me retournai vers les clients du bar, mais la fille de tout à l'heure n'était plus là. Comme évaporé.

-Elle n'aime pas trop se montrer. Estimez vous heureux de l'avoir vue. Je pense qu'il est temps pour vous de partir.

Je m'emparais aussitôt de l'enveloppe et je filais dans la rue. L'odeur de la nuit flottait dans l'air et un vent léger et tiède soufflait. Je m'assis sous un lampadaire, qui avait été assaillit par tout une armées d'insectes, attiré par l'ivresse de tant de lumière. J'arrachai la languette d'un coup de dent et je vis les premiers mots écrit à l'encre noir, mon cœur partant en charpie, mes veines, pleines à ras-bord, claquant sous ma peau.

" Cher Rêveur,

    Tu m'en voudras sûrement de t'avoir laisser tout seul, mais je ne pouvais pas faire autrement. C'était intense, je t'en remercie, mille fois, mais un élément qui t'es inconnu ne pouvait changer et ne pouvait nous aider. Tu viens de ce monde et je viens d'un autre. Je n'aurais pas dû venir te voir, je m'en excuse, je n'avais pas le droit, mon père me l'avait dit. Mais bon, j'ai succombé, je me suis laisser glisser dans ton monde. Je t'ai ouvert la porte et on s'est rencontré. C'était foiré d'avance, mais je ne regrette rien, si tu veux tout savoir. Seul ta peine me fait écrire ce soir, sur ce papier..."

Une goutte tomba et dilua l'encre des mots.

" Vous êtes tous des têtards, vous les humains. Vous avez de la chance. Chaque jour, quelque chose pousse en vous. Une nouvelle pensée, une nouvelle branchie ; un nouveau pas, une nouvelle patte. Qu'importe si tu n'existes pas pour moi. Continue ta transformation. Nous les Onirs, nous ne sommes que le peuple des Songes, impalpables, mais perceptible... Le bar n'est qu'un sas et vos rêves une passerelle. Il n'y aucun moyen de se rencontrer, si ce n'est lorsque vous êtes endormis ou inatentifs. Aujourd'hui, c'était une erreur, mais je voulais voir à quoi tu ressemblais vraiment. Hier et avant hier étaient des folies. J'ai bravé les règles de mon peuple et je suis descendu te voir. Je dois assumer maintenant et partir. "

Il pleuvait sur le papier et je savais d'où ça venait.

"Alors, fais moi une promesse, s'il te plaît.

Sois honnête avec toi même. Ne regrette rien. Tu seras ce que tu penses et tu écriras ce que tu es. Arrête la procrastination, c'est la maladie des faibles. Brave ta timidité. Ce n'est qu'un rempart invisible que tu surmonteras d'un coup de tête. Dis leur que tu les aimes et elles te répondront. Et surtout, n'essaie plus, fais-le, fais-le de toute tes forces.

Un jour, j'espère que nous nous recroiserons et j'aimerais alors ne plus te reconnaître.

Prends bien soin de toi.


Feldspath. "



La lettre s'arrêta net. Sur ce mot étrange. Et il troua définitivement les poches de mes yeux. Je reniflai comme un gamin, incapable de soutenir la vague, et mes joues se mirent soudain à ruisseler. J'essayai de regarder ailleurs, de porter mon attention sur quelque chose de stable et qui ne foutrait pas le camps aussitôt mon regard posé dessus. Il n'y avait plus de voiture à cette heure-là. Une affiche de Kick-Ass était placardé sur un panneau publicitaire et  les portes des maisons étaient closes et les fenêtres silencieusement sombres. J'avais du mal à respirer et je crois que s'il n'avait pas été là, je me serais foutu en l'air.

Il sortit d'une ruelle à la manière d'un monstre ambulant. Son ombre s'élargit aussitôt sur le trottoir, à quelques mètres de moi. Il bougonnait dans sa barbe et il reniflait le vent comme un chien. Il se pencha au-dessus d'une poubelle et se mit à fureter, extirpant un paquet Mc-Do vide, un vieux journal, un sachet plastique et un trognon de pomme entamées. Il prit la pomme et croqua dedans, puis, lorsqu'il atteint la deuxième poubelle, il s'arrêta, son chapeau de travers et ses sourcils froncés:

-Hey, p'tit, t'aurais pas 50 centimes?

Il s'approcha.

-Hey, p'tit, ça va pas? Oh, j'te cause!
- Si, si, ça va..." réussit-je à dire entre deux sursauts.
-Et bien on dirait pas. Tu ressembles à une bouteille qu'on aurait mal refermé. Est-ce que tu es une bouteille mal refermée?
-Bin non...
-Ah bah, ça me rassure... Et elle s'appelle comment la source de tout ces pleurs?
-Feldspath.
-Feds Quoi?
-Feldspath.
-Hum, j'connais pas ce truc.
-C'est un composant du granit. C'est un code.

J'émis un nouveau sursaut et j'essuyai la morve et la bave qui se mélangeait sur mon visage.

-J'vais te dire un truc p'tit. Faut pas se morfondre, comme ça, non, faut pas... Il faut faire de sa vie une aventure, tu vois? Sinon ça sert à rien. Tu m'écoutes quand j'te cause? C'est pas du baratin de foire c'qu'te raconte là!
-Oui, oui, je vous écoute.

Le clodo s'assit près de moi et il prit la lettre, mais il n'arriva pas à la lire. Tout était brouillé. Il m'a alors proposé une gorgée de bière et il m'a alors raconté sa vie de clochard céleste. On s'est quitté aux aurores et j'ai rejoint le lycée à pied. En passant sous un immeuble, j'entendis "That's the way i wanna rock and roll". Il était 7h du matin et je n'avais pas sommeil.

Il disait qu'il y avait des bateaux qui descendait du ciel au milieu de la nuit et il disait qu'il fallait attendre que les étoiles brillent et que le ciel soit tout noir. Il disait qu'il y avait un vieil homme qui tenait la barre et qui vous emmenait faire un petit tour si vous laissiez une partie de vos valises sur les quais. Il disait qu'il n'y avait rien de plus magnifique qu'une ville qui se balance sous vos pieds, rien de plus doux que le claquement des voiles qui accompagne le murmure du vent. Il disait que la nuit avait une couleur magique, une teinte de bleu d'outre-mer, un fond d'un noir d'onyx et des éclats d'étoile pâle et nacré, éparpillé un peu partout, et qui donnait cette aura singulier, cette phosphorescence inimitable. Il disait que la nuit avait une couleur magique et ça donnerait la chair de poule à une statue de cathédrale.

Je me suis dit qu'il avait bu un peu trop de bière, mais je me suis dit aussi qu'il parlait en images et que j'étais peut-être un peu trop con et trop lent pour comprendre. Je repensais à la lettre et, séchant une dernière larme, je me dis qu'il y avait peut-être un bateau qui m'attendait quelque part, mais qu'il fallait que je me bouge le cul si je voulais être à l'heure au rendez-vous.

Zonz

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